On entend de plus en plus souvent parler du courage des gestionnaires et de l’acceptation de l’échec pour créer une culture favorisant l’innovation. Toutefois, on parle trop peu souvent de la nécessité de prendre des risques et de savoir les évaluer adéquatement. C’est l’une des principales notions permettant d’élaborer une stratégie d’innovation performante et durable.

Êtes-vous en mesure d’établir la tolérance aux risques de votre entreprise?

Lorsque vient le temps de développer une nouvelle idée, un nouveau marché, un projet de longue haleine, connaissez-vous les limites qui régissent votre champ d’action, etc?  Au Canada, nous sommes reconnus pour favoriser l’entrepreneuriat et le démarrage d’entreprises. Selon l’étude du Global Entrepreneurship Mobitor (GEM), nous sommes parmi les champions de l’entrepreneuriat avec près de 20% d’entreprises dont la durée de vie oscille entre 0 et 42 mois (Total early stage Entrepeneurial Activity) pour la catégorie d’instances à haut revenu (Europe et Amériques du Nord). Par contre, pour ce qui a trait à la peur de l’échec, le Canada occupe le rang de la catégorie Europe et Amérique du Nord, tout juste sous la Suède. Beaucoup de canadiens craignent incidemment de prendre des risques par peur de l’échec.[1]

Aujourd’hui, pour innover il faut bâtir un capital d’idées et savoir anticiper ce qui s’annonce pour être au-devant des besoins des clients.  Par contre, les changements viennent rarement sans risques. Il faut donc rapidement savoir évaluer si le risque en vaut la chandelle.

Comment procéder pour faciliter une prise de risque qui sera profitable?

À travers la lentille de mon expérience et mes interventions en entreprises, je vous propose quelques pistes de réflexions pour mieux évaluer les risques à valeur ajoutée:

Tout d’abord, il est primordial de circonscrire ce qu’est un risque intelligent et encouragé par votre entreprise.  Vous pourrez ainsi identifier les efforts à consentir dans votre stratégie d’innovation :

  • Identifier les segments de projets importants de votre entreprise. Y inclure les projets actuels et à venir, en indiquant le pourcentage que vous ciblez pour chacun d’eux dans votre portefeuille produits/projets idéal.Par exemple, 85% de mes projets se retrouveront dans le segment « Amélioration de gamme » par rapport à 15% dans «Disruptive innovation» (c’est-à-dire qui bouscule le marché et les produits et services d’une compagnie déjà bien établie)
  • Sélectionner les catégories dans lesquelles vous désirez déployer un effort d’innovation. Celles-ci sont souvent en lien avec vos alignements stratégiques. Les catégories les plus souvent relevées sont les aspects légaux, financiers, les opérations et le marché.
  • Indiquer, par catégorie, les différents critères stratégiques de risque que votre entreprise est prête à surmonter pour aller de l’avant.Par exemple, au niveau du «marché», vous pourriez établir que le délai de mise en marché (time to market) pour votre segment « amélioration de gammes », se doit d’être plus rapide que la moyenne du marché (par exemple 8 mois au lieu de 12 mois). Il faut donc définir, par segment de projet, les critères pour lesquels le risque est toléré, encouragé ou tout simplement à éviter.
  • Définir les paramètres spécifiques permettant de mesurer et évaluer les résultats par rapport au temps ou aux impacts financiers.Par exemple, faire montre d’un progrès minimal après X mois ou encore générer Y dollars de revenus ou limiter les coûts et dépenses à un maximum de Z dollars.

Le but étant d’établir une zone sécuritaire pour favoriser et accélérer l’innovation auprès de tous les acteurs de l’entreprise. Il importerait, idéalement, de prioriser une ou deux catégories pour éviter de vous éparpiller.

Élaborer ce type de tableau, avec votre direction, pourrait être une piste à explorer pour débuter ce processus.

Catégorie

Alignement atratégique

Critères de risque Segments de projets
  Amélioration de gammes existantes (85%) Disruptive – Nouveau sur le marché et nouveau pour l’entreprise (15%)
Marché Besoins clients Risque moyen = Changement requis au produit (nouveau fournisseur, matériel plus disponible, fonction défaillante, etc.) doit répondre à un segment de marché actuel, mais pourrait inclure de nouveaux clients pour l’entreprise.

Risque faible = Doit absolument répondre aux besoins des clients actuels.

Risque élevé = Capacité de s’ajuster en continue avec le client (MVP)
Résultat KPI = % des clients ayant transités vers le nouveau produit après X mois Résultat KPI = Nombre d’ajustements de l’idée/projet fait avec le client, Durée de chaque phase d’ajustement
Finance Retour sur investissement (ROI) Risque faible = Atteindre des objectifs financiers et marges établis par le marché ou le client.

Résultats KPI = Procure X revenus et Y % de marges.

Risque élevé = Pas d’historique. Connaissance des réactions du marché faibles. On accepte une croissance négative globale ou nulle pour le départ.

Résultats KPI = L’entreprise a la 1ère année une croissance nulle ou maximum 5 % de baisse de profit pour récupérer les investissements faits.         2ème année, croissance nulle ou légèrement à la hausse représentant au moins 1 % du profit.

Vente Engagement Risque faible = Peu de changements acceptés sur les engagements auprès des clients.

Résultat KPI = Nombre d’ajustements acceptés dans les barèmes définis du projet avec le client  Ex. : 2

Risque faible = Peu de changements acceptés sur les engagements auprès des clients.

Résultat KPI = Nombre d’ajustements acceptés dans les barèmes défini du projet avec le client Ex. : 2

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Opération Coûts d’investissements technologiques Risque faible = Dans les paramètres de ce que l’on connaît (internes ou avec partenaires) Risque élevé = Investissement requis.

Si £ 1 million = Go

Si ³ 1 millions = Besoin de l’approbation du comité

Si ³ 5 millions = Pause ou arrêt du projet

Évaluer le danger n’est pas facile, mais essentiel

Guy Laliberté, avec son histoire à succès du Cirque du Soleil, vous le dira lui-même : «Analyser le risque avant de prendre une décision est important, mais n’attendez pas trop longtemps avant de vous décider, car la prise de décision doit toujours s’exercer dans un délai limité.»[2] C’est là que le défi réside. Trouver l’équilibre entre la cueillette de données nécessaires pour tracer un portrait de la situation (opportunités et risques) et le délai imparti avant d’investir afin de conserver l’opportunité et se donner assez de temps de réaction pour s’ajuster est l’impératif avec lequel il faut savoir composer. Votre réalité ressemblera sûrement davantage à ce deuxième graphique.[3]

En conclusion

Voici quelques questions à se poser pour évaluer rapidement la valeur ou le potentiel de succès lors d’une prise de risque. Vous n’aurez d’autres choix que de poser des hypothèses, car dans ces situations, toutes les données chiffrées et l’historique ne vous serviront à rien puisque qu’elles sont à ce moment encore inexistantes ou peu élaborés.

  • Est-ce que le projet (l’innovation X) aura un impact marquant sur l’entreprise ou sur son objectif de croissance et ce, dans un délai raisonnable ? Il importe de considérer l’impact sur les gens et les clients dans un horizon à court, moyen et à long terme.  Comme cela varie pour chaque entreprise, est-ce 1 an, 3 ou 5 ans en ce qui vous concerne ?
  • Avons-nous besoin de cette opportunité / innovation pour croitre ? Que se passera-t-il si nous ne poursuivons pas ce projet ? Serons-nous perdant ? Et en quoi ?
  • Quelles ressources financières et humaines sont nécessaires pour achever ce projet ? En disposons-nous ? Devons-nous faire un investissement additionnel pour recruter de nouveaux talents et expertises ?

Mettre en application ces approches et réflexions ne réduira pas la totalité de la prise de risque, mais cela vous permettra certainement de mieux identifier les innovations et projets qui mériteront votre temps, votre énergie, vos efforts et vos investissements.

[1] https://www.gemconsortium.org/report : gem-global-2019-1559896357

[2] Revue Gestion, le risque cette occasion en or, P16-17, Vol44 N.13, Automne 2019

[3] lpk.com/innovation

Magali Pelletier est entrepreneur, stratège et formatrice. Elle Cumule plus de 15 ans d’expérience professionnelle en entreprises manufacturières et de services comme spécialiste en gestion marketing et stratégie de développement de produits. Consultante depuis 2013, elle offre des services de consultation, des formations sur les grands thèmes actuels en gestion et développement de l’innovation et effectue des études d’opportunités pour explorer de nouvelles idées ou marchés. www.strategiemp.com